Le long du chemin en gravier, la Bousse coule paresseusement. C’est à peine si le bruit de son courant n’effleure les oreilles. La preuve, j’ai failli trébucher dans son lit recouvert de verdure.

Le hasard ou le destin m’ont fait passer près de la nouvelle caserne de Saint-Légier au-dessus de Vevey. Un ensemble duplo de onze immeubles, alignés au cordeau pour empaqueter 150 logements, soit 300 à 400 petits soldats du ça m’suffit contemporain. Avant, il y avait des prairies en pente douce jusqu’à l’autoroute et un ru – La Bousse – enfoui sous terre, dans une canalisation invisible. Avec l’ouverture de la caserne de Grandchamp (nom du quartier duplo qui dit bien ce que c’était avant l’arrivée des pelleteuses et trax), une lueur de bonheur était apparue : la remise à l’air libre de quelques dizaines de mètres du ruisselet La Bousse. Merci grands seigneurs du béton ! Merci beaux vizirs de l’administration ! Merci promoteurs avisés ! Un peu de nature.

Las, c’était sans compter sur l’illumination citadine de certains nouveaux arrivants. Deux gros bras de la délicatesse qui demandèrent la remise sous terre du ru. « Qu’il soit à jamais cadenassé dans un tube de béton, six pieds sous terre, jusqu’à la fin des temps.» Et pourquoi donc ? « Parbleu ! Cette Bousse fait trop de bruit. Mes oreilles bourdonnent, mon esprit fulmine, nuit et jour. Cachez ce ru que je ne saurais plus entendre ! Que ma caserne respire… » Ou à peu près. J’imagine les vociférations audibles jusqu’au lac.

Je m’arrête en bas du sentier.

Pour entendre le filet de bruit de la Bousse, je dois me pencher au-dessus de son petit cours et tenter d’oublier le ronflement incessant de l’autoroute toute proche. Les deux compères mécontents ont raison, le ru fait glouglou. La cour de droit administratif et public, la sourcilleuse (pas toujours) CDAP a donc donné raison aux deux copropriétaires grincheux : il faut faire taire la Bousse, couper son son, con !

Je reprends mon chemin et pense à tous ces urbains venus envahir les campagnes à bord de bâtiments bétonnés, tout surpris d’acheter un appartement sur plan et de constater que la campagne vit, que ses bruits n’ont rien à voir avec les sonneries des indispensables smartphones.

Vite, rentrons à la ville ! Ces sons me crispent, cette nature morte m’agace.

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