Crénon ! « On est genre une centaine, chill. » L’entrée du Départ de Feu d’Adrien Gygax avait tout pour m’exaspérer… chill. Cette expression jeuniste, à la mode des années dix (2010), bien dans la dispersion de nos si chers millénials me bloque. À chaque intonation de ce tchillllll, je me butte ! Normal, je suis un double millénial, un double chill. Et pourtant ce diable de Gygax a réussi à me faire passer de cette entame scabreuse à une deuxième phrase, puis à un paragraphe, enfin à des chapitres… Je me suis laissé embarquer par cette histoire toute simple et banale d’un solide burn out. César, c’était moi; ses faux-amis, mon voisin, mon copain, mon prochain; Montricher et sa forêt magique, mes toilettes, la Polynésie et ses gourous climatiques, ma terrasse. J’ai aimé cette déambulation entre ici et là-bas, à l’intérieur d’une âme à la ramasse. J’ai goûté aux rencontres de tout poil et aux personnages tellement ambivalents. J’ai reconnu les doutes universels, j’ai découvert une génération si proche, déjà lointaine. Le style est fluide, le vocabulaire précis, la syntaxe à toute épreuve. Les références, Nietzsche, Héraclite, Thoreau, ça pouvait faire peur, mais leurs résurrections sont passagères ( même pas le temps de se prendre les cheveux). Et si vous sentez quand même une petite nausée, passez à la page 128 et offrez-vous une rasade généreuse de gentiane de chez Bonny aux Charbonnières. Gygax est un esthète tranquille, un dandy sans excès, un auteur de qualité supérieure. Si vous n’avez pas de temps à perdre, lâchez votre ouvrage et prenez Départ de feu à pleines mains !
