Turquie sous influence

Je ne le connaissais pas. Et pourtant Burhan Sönmez écrit depuis un moment. Et il écrit bien pour un avocat, son premier métier avant de quitter la Turquie pour s’exiler en Grande-Bretagne. La Pierre et l’Ombre édité en 2023 chez Gallimard est un pur joyau qui nous fait voyager dans le temps (XXème siècle) et dans les méandres de la grande Turquie. Un pays inconnu pour moi. Le pays encamisolé par le triste Erdogan aux airs de chauve-souris. J’ai adoré suivre Avdo, le gamin oublié dans la foule d’un bazar, exilé dans sa propre vie, dans toutes les régions qu’il parcourt. Son radeau de la Méduse à lui, un maître de toutes les religions, donc d’aucune, un vieux sage qui lui apprend à rester digne face à l’absurdité, la méchanceté et la violence des hommes. La Turquie est un univers multiple, féroce et poétique, selon Burhan. Je ne suis pas un ami de la poésie, mais là je m’incline devant la prose poétique de l’auteur, je salue le traducteur – Julien Lapeyre de Cabanes. Je rouvre mon livre. Je déguste une fois de plus les évocations lyriques (sans mièvrerie) sortie du cimetière Merkez Efendi d’Istanbul, des plaines de Mésopotamie, des villages incertains d’Anatolie; il y a un peu d’Ankara par-ci, de Damas par-là. J’en ai de nouveau les frissons ! La Pierre et l’ombre parle aussi de coups d’État civils, de putsch militaires, de révoltes réprimées, de soulèvements massacrés, des blessures encore vives issues de l’Empire ottoman, de l’avènement difficile de la république d’Atatürk, du retour d’un Islam rigoriste. Sönmez n’est jamais lourd, insistant, il parle des gens qui souffrent avec sollicitude. Il ne juge pas. Il conte. Il écrit tellement bien. Lisez-le !

Badinter m’a quitté

Il y a des livres qu’on ne devrait jamais quitter des yeux. Pour moi, il y a d’abord eu L’Étranger d’Albert Camus, puis L’Exécution de Robert Badinter. Pour le premier, c’est mon ouverture au monde littéraire et philosophique, à la vie quoi ! J’ai dix-sept ans. Pour le second, c’est la découverte intime de l’humanité, j’ai dix-huit ans, peut-être dix-neuf. J’ai égaré, perdu, oublié ces deux livres de poche. Ils me manquent aujourd’hui encore. Je maudis le déménagement de trop qui m’a entraîné hors des sentiers affectifs, débordé par les contingences organisationnelles. J’ai bien entendu racheté et l’un et l’autre, mais ce n’est pas la même chose. Pour preuve, mon exemplaire de l’Exécution tout écorné, aux pages grisailles… je revois encore mes annotations maladroites au crayon de bois, je sens les pages gondolées par mes larmes… Tout cela est remonté en moi à l’annonce de la mort de Robert Badinter.

En voilà un qui m’a poursuivi toute ma vie ! Robert Badinter m’a ouvert la voie, il a accéléré mon dépucelage intellectuel, m’a rendu à tout jamais ennemi de la foule haineuse, assoiffée du sang du condamné qu’il soit coupable ou pas. Si on est un homme, on ne peut pas accepter une justice qui tue. Une justice injuste souvent, ou maladroite parfois, fragile toujours, sans courage sans l’avouer. Simplement parce que ce n’est qu’une justice d’hommes et de femmes. Dans le flot désordonné des souvenirs de mes années d’adolescent qui m’assaillent depuis quelques jours, il y a encore cette une de Charlie Hebdo parue juste après la double guillotine de Bontemps et Buffet, un sondage et un dessin fort comme une lame de couteau.

Médias en joue !

Pour la SSR (la RTS en Suisse romande) et le groupe TAMédia (24 Heures, La Tribune de Genève et le Matin Dimanche en tête), l’année 2023 se termine dans une incertitude insupportable. Et c’est toute l’information romande qui vacille. Et on ne parle pas de crédibilité éditoriale, mais de survie tout simplement. J’ai été journaliste à 24 heures et à la RTS, et je suis consterné depuis plusieurs années devant les attaques que subissent ces deux médias qui me tiennent à coeur. Aujourd’hui je pressens le pire. Lisez et commentez ma lettre de lecteur que Le Courrier a eu l’amabilité de publier.