À Vevey la nouvelle essence sylvicole s’appelle « horodateur ». Pour le bien-être de tous les citoyens pollués, la plantation – une vingtaine de spécimens – est prévue à Plan-Dessus. Ce quartier il est vrai fait l’objet depuis trop longtemps de comportements invasifs insupportables : la bagnole ventouse. La Municipalité et ses soutiens de gauche veulent donc éradiquer cette vermine, attaquer les quatre roues toxiques avec leur disque de stationnement contaminé pour les remplacer par des monopodes aux larges bourses. Oui car l’horodateur comme tout le monde le sait est friand de sous. Toutes les heures, il demande sa ration : deux francs. En fin de journée, une vingtaine de francs. À la fin de la saison, cette taxe carbone veveysanne devrait rapporter deux cent mille balles. Dire encore aux citoyens irradiés que ces nouvelles plantations résistent magnifiquement bien au réchauffement climatique, demandent peu d’entretien et donnent du travail aux gardiens de l’ordre public.
Après la place du Marché et le quartier de Plan-Dessous vilainement attaqués par les touristes processionnaires, c’est aujourd’hui au tour du quartier de Plan-Dessus d’entrevoir la lumière, viendront ensuite les rues du nord et de l’est de la ville. Une nouvelle ère pour la ville bercée par le doux son des sous des horodateurs.
Je vous offre les premières lignes de mon livre Les Pinceaux de feu,Edgar Mabboux.
Petit rappel avant lecture. Le peintre Edgar Mabboux m’a sidéré. Le bonhomme a 92 ans, vit à Blonay et peint toujours plus beau. Il est coté chez Drouot à Paris, fait un malheur en Italie, est toujours aussi attendu aux États-Unis. De quoi amener un peu de quiétude à l’enfant maltraité qui sommeille toujours en lui.
Le déclic
Automne 1988. Salon des Indépendants, Paris. Tout le monde court autour d’elle : les gardes du corps, les invités, les artistes, les quidams. Elle, elle ne bouge pas. Elle ne semble pas entendre le bruit de la petite foule qui la serre, ne pas sentir la fureur des courtisans qui la pressent, ne pas voir l’impatience des artistes qui frémissent.
Dans le hall d’honneur du Grand Palais, ça se bouscule de partout pour approcher Bernadette Chirac qui doit inaugurer le salon. Mais elle reste là, tétanisée, de marbre. Voyons, il faudrait avancer Madame, couper le ruban ! Mais comme on n’ose pas trop obliger la femme du premier ministre de la République française, tout le monde piétine, se bouscule, s’invective mezza-voce. La nervosité prend le pas sur l’excitation.
La foule enfle, elle s’impatiente, elle commence à déborder du Grand Palais ; les derniers arrivants ne comprennent pas. Ça pousse, ça grogne, ça joue des coudes, ça fulmine. Mais que se passe-t-il devant ? Avancez !
Bernadette Chirac reste en pâmoison devant Riviera vaudoise, un superbe coucher de soleil sur Montreux et le lac Léman. Le meilleur tableau du salon, elle le sent. Pourquoi aller plus loin ? doit-elle se dire. S’il n’y avait pas tous ces ennuyeux…
C’est vrai que depuis Renoir ou Monet, Cézanne, Picasso ou Braque, les Salons des Indépendants du XXe siècle ont trop souvent proposé des œuvres surfaites, minables, un bric-à-brac désordonné d’œuvres insipides. C’est la rançon de ce genre de salon ouvert à tous les courants, à tous les suivismes, ouvert aux peintres du dimanche. Il y en a des bons, parfois.
Mais là, on a à faire à tout autre chose. Bernadette Chirac a l’œil. Elle a compris que celui qui a créé Riviera vaudoise est un peintre hors normes. Mais qui est-il ? Qui donc a pu peindre un chef-d’œuvre pareil ? Faites-le venir tout de suite que je le félicite ! Que je l’invite à Matignon. Jacques doit voir ça !
Jacques Chirac, oui bien sûr, le promoteur du Musée des Arts premiers pourrait aimer ça, sauf qu’à l’automne 1988, il peine encore à digérer sa défaite aux dernières présidentielles françaises. Cela fait des semaines qu’il rumine son humiliation face à François Mitterrand, alors Le Riviera vaudoise, il le laisse volontiers à madame. Et puis ce Mabboux n’est pas vraiment un spécimen des arts premiers…
Devant le tableau d’entrée du salon,Bernadette doit assurément penser à tout ça, chercher un moyen de divertir son mari défait. Plus tard, elle se confiera au journaliste Erwan L’Éléouet dans Bernadette Chirac, les secrets d’une conquête : « Les Français n’aiment pas mon mari, les Français n’aiment pas les Chirac. » Et les Chirac qu’aiment-ils ? Les arts plus que les Français… Jacques est entiché d’arts premiers, Bernadette préfère la lumière lourde qui décline sur la ville de Montreux. Elle doit adorer les lumières des tableaux d’Edgar.
Ces dernières phrases, ces pensées intimes, je les rêve tout haut. Je viens de les inventer pour prolonger ce moment de bonheur que doit vivre l’artiste au moment de la consécration. Le reste, c’est Edgar qui me le raconte, chaque fois qu’on a envie de délirer ensemble ; chaque fois qu’on a la fièvre, celle de refaire le monde.
Edgar, c’est Edgar Mabboux, 90 ans, la peinture dans le sang, de l’amertume collée au cœur, de la rage plein les poings, jamais dans ses tableaux. Des tableaux éparpillés comme oubliés dans son atelier-bunker, disséminés un peu partout. Des tableaux reconnus dans le monde entier, si peu chez lui.
À Paris, l’étiquette finit par rattraper Bernadette Chirac, elle inaugure et fait sa visite protocolaire, comme chaque année. Elle ne rencontrera pas Edgar. Ni ce jour-là, ni plus tard. « Je n’ai pas osé m’approcher d’elle, me souffle le peintre. J’avais tellement honte, peur d’être ridicule, en bon petit Suisse bien complexé que j’étais, tu vois ? J’ai surtout été trop con ! »
Tu ne sais pas si bien dire, Edgar. Aujourd’hui ton chef-d’œuvre parisien que tu avais présenté – sans succès – quelques semaines auparavant à Fribourg, tu ne sais même plus à qui tu l’as vendu, où il se trouve. Quel gâchis !
En décembre 1986, deux ans avant Paris, ce tableau avait fait un bid
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Un mois de photographies à Vevey. J’en suis repu. Pas des extérieures, des intérieures. À l’église, à la prison, à la gare, etc… J’en ai eu ma claque ! Quand on ne sait plus quoi dire, montrer… Et puis, il y a eu les jardins secrets que l’on ne voit jamais. Fermés à double tour le reste de l’année, comme à la Serrurerie, l’ex-serrurerie Chollet . Et là encore, ce sont des atmosphères au-delà des images figées qui m’ont touché. Je partage ce qui va me rester de ce mois veveysan un brin suffisant.
Je ne le connaissais pas. Et pourtant Burhan Sönmez écrit depuis un moment. Et il écrit bien pour un avocat, son premier métier avant de quitter la Turquie pour s’exiler en Grande-Bretagne. La Pierre et l’Ombre édité en 2023 chez Gallimard est un pur joyau qui nous fait voyager dans le temps (XXème siècle) et dans les méandres de la grande Turquie. Un pays inconnu pour moi. Le pays encamisolé par le triste Erdogan aux airs de chauve-souris. J’ai adoré suivre Avdo, le gamin oublié dans la foule d’un bazar, exilé dans sa propre vie, dans toutes les régions qu’il parcourt. Son radeau de la Méduse à lui, un maître de toutes les religions, donc d’aucune, un vieux sage qui lui apprend à rester digne face à l’absurdité, la méchanceté et la violence des hommes. La Turquie est un univers multiple, féroce et poétique, selon Burhan. Je ne suis pas un ami de la poésie, mais là je m’incline devant la prose poétique de l’auteur, je salue le traducteur – Julien Lapeyre de Cabanes. Je rouvre mon livre. Je déguste une fois de plus les évocations lyriques (sans mièvrerie) sortie du cimetière Merkez Efendi d’Istanbul, des plaines de Mésopotamie, des villages incertains d’Anatolie; il y a un peu d’Ankara par-ci, de Damas par-là. J’en ai de nouveau les frissons ! La Pierre et l’ombre parle aussi de coups d’État civils, de putsch militaires, de révoltes réprimées, de soulèvements massacrés, des blessures encore vives issues de l’Empire ottoman, de l’avènement difficile de la république d’Atatürk, du retour d’un Islam rigoriste. Sönmez n’est jamais lourd, insistant, il parle des gens qui souffrent avec sollicitude. Il ne juge pas. Il conte. Il écrit tellement bien. Lisez-le !
Voilà ce qui m’attend lundi prochain : » Les pinceaux de Feu », la conférence donnée par Guy-Olivier Chappuis ce lundi 25 mars pourrait aussi s’intituler: la passion des rencontres. Sa rencontre avec l’artiste vaudois Edgar Mabboux était une découverte inattendue, passionnante et riche en humanité pure et simple… Un rendez-vous que j’attends avec impatience, et vous ? Rendez-vous à l’espace Source de création à Lutry que je remercie pour l’accueil. Nous vous y attendons…
Merci Nadine pour cette réflexion toute en douceur. Tu as bien raison de dénoncer le mélange des genres. Le 8 mars va bien au-delà de Gaza, de la Palestine, d’Israël, etc. Sans parler des armes des bien-pensant(e)s d’ici, l’intolérance et la violence verbale, sinon physique. Je salue ton courage. J’engage ceux me suivent à suivre ta réflexion.
C’est l’histoire d’un peintre de chez nous. Je l’ai rencontré, il m’a ému, il m’a sidéré. De cette rencontre unique est sorti un livre que ceux qui suivent mon blog connaissent déjà, Les Pinceaux de Feu (Éd. Cabédia). Lundi 26 février à l’Atelier Source de création à Lutry je vous en dirai plus. L’occasion pour tous les curieux de venir poser des questions, pour les autres de découvrir l’épopée d’Edgar Mabboux. See you !
Il y a des livres qu’on ne devrait jamais quitter des yeux. Pour moi, il y a d’abord eu L’Étranger d’Albert Camus, puis L’Exécution de Robert Badinter. Pour le premier, c’est mon ouverture au monde littéraire et philosophique, à la vie quoi ! J’ai dix-sept ans. Pour le second, c’est la découverte intime de l’humanité, j’ai dix-huit ans, peut-être dix-neuf. J’ai égaré, perdu, oublié ces deux livres de poche. Ils me manquent aujourd’hui encore. Je maudis le déménagement de trop qui m’a entraîné hors des sentiers affectifs, débordé par les contingences organisationnelles. J’ai bien entendu racheté et l’un et l’autre, mais ce n’est pas la même chose. Pour preuve, mon exemplaire de l’Exécution tout écorné, aux pages grisailles… je revois encore mes annotations maladroites au crayon de bois, je sens les pages gondolées par mes larmes… Tout cela est remonté en moi à l’annonce de la mort de Robert Badinter.
En voilà un qui m’a poursuivi toute ma vie ! Robert Badinter m’a ouvert la voie, il a accéléré mon dépucelage intellectuel, m’a rendu à tout jamais ennemi de la foule haineuse, assoiffée du sang du condamné qu’il soit coupable ou pas. Si on est un homme, on ne peut pas accepter une justice qui tue. Une justice injuste souvent, ou maladroite parfois, fragile toujours, sans courage sans l’avouer. Simplement parce que ce n’est qu’une justice d’hommes et de femmes. Dans le flot désordonné des souvenirs de mes années d’adolescent qui m’assaillent depuis quelques jours, il y a encore cette une de Charlie Hebdo parue juste après la double guillotine de Bontemps et Buffet, un sondage et un dessin fort comme une lame de couteau.
Les vieux nous emmerdent ! Du balai ! Oui, mais comment… C’est le thème de mon dernier roman en cours d’écriture. Du brutal ! Oui. Avec des personnages qui tentent de s’en sortir. En attendant la fin de l’histoire et l’éventuelle édition, je me suis amusé avec une politicienne qui fait la une des médias. Une coqueluche prise de vertige. Lisez et réagissez…
Pour la SSR (la RTS en Suisse romande) et le groupe TAMédia (24 Heures, La Tribune de Genève et le Matin Dimanche en tête), l’année 2023 se termine dans une incertitude insupportable. Et c’est toute l’information romande qui vacille. Et on ne parle pas de crédibilité éditoriale, mais de survie tout simplement. J’ai été journaliste à 24 heures et à la RTS, et je suis consterné depuis plusieurs années devant les attaques que subissent ces deux médias qui me tiennent à coeur. Aujourd’hui je pressens le pire. Lisez et commentez ma lettre de lecteur que Le Courrier a eu l’amabilité de publier.